Qu’entendons-nous par marchandisation de l’action associative ?
« Nous sommes embarqués, avec une forte complicité des pouvoirs publics et « d’experts » souvent autoproclamés, dans un nouveau régime économique mondial, de type néolibéral, fortement financiarisé et relayé par plusieurs directives de l’union européenne, notamment celle de 2006 sur les services. Ceux ci ne doivent plus échapper au marché et à la concurrence, même les dits services sociaux d’intérêt général (SSIG), sauf exception », expliquait Michel Chauvière en janvier 2017, lors de la journée organisée par le CAC intitulée : « Quelles réponses à la marchandisation du social ? ».
Cette directive engage un changement majeur : les entreprises peuvent désormais espérer faire du profit dans des domaines jusqu’alors sanctuarisés et l’Etat ne peut plus apporter directement des aides aux opérateurs (principalement des associations) mais passer par des appels d’offre ouvrant ainsi ces nouveaux marchés à la concurrence, imposant des cahier des charges précis et des évaluations de performance, plaçant les associations en concurrence entre elles et dans certains secteurs, notamment ceux de la dépendance et de la petite enfance, avec des acteurs du privé lucratif.
L'Etat manager et l'entreprise sociale
En France, la circulaire Fillon de 2010 sur les relations entre les pouvoirs publics et les associations en classant toutes les activités associatives comme des services économiques d’intérêt général va au-delà du droit européen et étend la réglementation européenne des aides aux entreprises à l’ensemble des subventions aux associations. Elle réalise ainsi le rêve du Medef qui dans un rapport de 2002 demande « l’ouverture à la concurrence de tous les secteurs de l’économie, la suppression de toutes les distinctions entre l’économie marchande, l’économie sociale, le développement du secteur caritatif » (2) ; on imagine que cette dernière notion désigne aussi les associations.
Les effets de cette circulaire sont finalement circonscrits par la circulaire Valls relative au soutien public aux associations de 2015 qui rappelle l’importance de la subvention et limite l’interprétation de la réglementation européenne en donnant une nouvelle définition des services non économiques d’intérêt général.
Dans la pratique, si le processus de marchandisation a sans doute été freiné, il n’a cessé ensuite de se développer. Selon la dernière enquête sur le paysage associatif français menée par Viviane Tchernonog, les subventions dans les ressources associatives sont passées de 34% en 2005 à 20% en 2017. Les ressources privées augmentent elle à un rythme très rapide, d’abord via les participations des usagers (42% des ressources), les cotisations (9%), les dons et le mécénat (5%). « De plus en plus, le service associatif s’achète », souligne la chercheuse.
Le développement des appels d’offre au détriment de la subvention pousse l’association à devenir prestataire de service, l’engage dans des appels qui orientent son action associative sur les besoins de l’Etat, avec les moyens financiers fixés par l’Etat pour les prestations. Dans le champ social, par exemple, les marchés publics de l’accueil des demandeurs d’asile, de l’hébergement des personnes sans abri ou encore de l’accueil des mineurs isolés étrangers illustrent la dégradation progressive que cette marchandisation implique. L’accueil des demandeurs d’asile a ainsi vu le taux d’encadrement par des travailleurs sociaux baisser au fil des années ; les derniers appels d’offre sur l’hébergement des personnes sans abri exigent, par exemple, de ne plus inclure les repas dans les prix de journée ; enfin pour l’accueil des mineurs isolés étrangers, les prix de journée fixés par les appels d’offre sont bien en dessous de ceux proposés dans le cadre habituel de la protection de l’enfance, dont ces enfants relèvent pourtant selon la loi.
Enfin, le scandale Orpéa éclaire sur les dérapages totalement prévisibles que provoque l’entrée dans des secteurs qui ne peuvent, par nature, être rentable, d’acteurs privés lucratifs. Faire de l’argent sur les vieux n’est possible qu’au prix de l’inhumanité.
Les associations sont de plus en plus poussées vers le marché par l'entrée des logiques de rentabilité dans leur fonctionnement
En parallèle, les associations sont de plus en plus poussées vers le marché par l'entrée des logiques de rentabilité dans leur fonctionnement. Le courant de l'entrepreneuriat social engage les associations a copier les modèles de l'entreprise privée jugée plus efficace, plus moderne, plus innovante... L'exemple du groupe SOS représente parfaitement cette tendance. En quelques trente ans, ce groupe constitué essentiellement d'associations et financé en majeure partie par des subventions se présente comme un entrepreneuriat social, rejette le modèle associatif, s'inspire de celui de l'entreprise. Jean-Marc Borello, le patron et fondateur du Groupe SOS, signe un livre au titre évocateur : "L'entreprise doit changer le monde".