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Compte rendu du Café'CAC visio du 25 avril 2023 à 9h sur le thème de la loi asile et immigration

Avec la participation de Marc DURANTON de la Cimade et de Christine MARTINEAU du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés) - animée par Marianne Langlet du CAC.

Sommaire :
Lexique
Présentation
La Loi Asile et Immigration présentée par le Gisti et la Cimade
Temps de questions-réponses
Échange de conseils de lectures, vidéos, podcast…
Extrait de l’interview de Danièle Obono sur la Loi Immigration

PrésentationPrésentation

Lexique

BPI : bénéficiaires de la protection internationale
DA : demandeur d'asile
Double peine : personne condamnée à la prison + expulsion le jour de la sortie de prison
CNDA : cour national du droit d'asile
CRA : centre de rétention administrative
HCR : Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés
OFII : Office français de l'Immigration et de l'Intégration
OFPRA : Office français de protection des réfugiés et apatrides
OIP : observatoire internationale des prisons
OQTF : obligation de quitter le territoire français


Présentation mutuelle via un petit tour de table

23 personnes connectées (après quelques soucis de lien visio) – 35 étaient intéressées.

La Loi Asile & Immigration

Marianne LANGLET du CAC anime la séance
Cette loi est une loi façon "puzzle" car morcelée en plusieurs lois, mais hier E. Macron a annoncé dans la presse la volonté d’avoir une seule loi (alors qu'on était sur plusieurs) pour cet été :

Marc DURANTON de la Cimade
Va aborder Les mesures phares d'expulsion dans le texte de Loi puis le parcours de la Loi.
Mesure "double peine" : personne condamnée à la prison + expulsion le jour de la sortie de prison
Les personnes étrangères sont toujours considérées comme des menaces (et pas nouveau), ce qu'on voit dans les nombreuses mesures et directives.

Ce projet de loi va plus loin que les lois précédentes sur le volet expulsion, inscrire dans le marbre de la loi avec des pratiques ministérielles aux marges de la légalité.
La mesure phare : rétablissement de la double peine, nous on dit que cela n'a jamais disparu. La double peine : condamnation en plus de la peine de prison à une expulsion le jour de sa sortie.

Remet en cause les personnes protégées en principe contre la double peine, comme les personnes mariées, présence en France depuis des décennies, gravement malades...
= remet en cause des mesures de protection déjà actées

Ne regarde plus la peine prononcée mais la peine encourue - régression monumentale des droits - jugée la dangerosité avant même qu'elle soit établie, le principe de dangerosité pose problème en lui-même. (Minority report).

2ème gros souci : introduction de la "menace à l'ordre public" partout dans le texte
Introduction dans le Projet de Loi de menace à l'ordre public un peu partout dans le Ceseda or la menace à l'ordre public n'est pas définit par les textes, cette notion d'ordre public est utilisée à tort et à travers.
On risque donc de précariser davantage les personnes.


L'avenir de la loi : on ne dispose pas beaucoup d'information à la Cimade, mise à part celles de la presse. Il a été dit que le projet de loi serait divisé "saucissonné", faisant passer la partie 1. Asile, puis 2. Contention, puis 3. Expulsion. Si un volet pouvait passer plus facilement - ce qui semble certain, c'est que le volet contentieux car "alignement des planètes" (sénat, exécutif, etc.).

Christine MARTINEAU du Gisti
Marc vient de faire un tableau assez terrifiant de ce qui nous attend…
Sur l'asile, c'est un tableau nouveau car on a pas à faire avec des petites modifications (comme en 2015-18) là c'est un chamboulement de la procédure d'asile.

Chamboulement :
Nouveau Pôle France asile : qui comprendrait l'Ofii qui reçoit les demandeurs d'asile et leur explique en principe leurs droits et doit le remplir avant 21 jours et aussi l'Ofpra et la préfecture - nous sommes inquiets de se rapprochement des entités qui devraient être indépendantes, c'est pratique mais les personnes ne pourront pas se préparer à l'entretien à l'Ofpra. A peine arrivées, ces personnes vont être confrontées à l'Ofii, Ofpra et préfecture, c'est un mélange des choses dangereux pour les personnes et leur protection réelle.
Là aujourd'hui tous les services seront sur place : l'OFII et l'OFPRA et la Préfecture, nous sommes très inquiets de ce rapprochement d'entités qui devraient être indépendantes. Nous ne sommes pas d'accord pour que l'OFPRA vienne loger là. Sur le principe ça pourrait être plus simple, mais dans les faits : à peine arrivés, les demandeurs vont être confrontés aux trois administrations, avec des pratiques et des objectifs différents.

Pose la question :

2ème gd point : la cour nationale du droit d'asile (CNDA) : elle existe depuis 1952 et aujourd'hui cette cour serait complètement bouleversée.
Aujourd'hui on juge en collégial, c'est le principe, sauf procédure accélérée et ordonnance.
Là le principe changerait ce serait : juge unique et elle serait déterritorialisée, dans chaque cour d'appel administrative (et non plus uniquement à Montreuil), nouvelle juridiction à juge unique dans les territoires.

La CNDA deviendrait une juridiction à juge unique : on se bat contre ce juge unique devant les juridictions en général mais particulièrement dans le cas de demandeurs d'asile, car il serait déséquilibré qu'un juge seul soit responsable de juger de la protection d'un demandeur.
La collégialité est très importante dans ce type d'affaire difficile où une discussion à trois aide à la réflexion
Le président de la CNDA dit, "il y aura toujours collégialité pour les affaires importantes, les affaires difficiles" qu'est-ce que ça veut dire ? On sait très bien que c'est pour nous calmer qu'on nous dit ça.

La déconcentration de la CNDA a peut-être un côté positif certes, y compris pour les demandeurs d'asiles qui peuvent trouver un avocat localement et éviter de se déplacer
Ça c'est évident et on a toujours dit que naturellement... mais ça ne veut pas dire que dans ces "pôles" qui seront créés, il ne faut pas de collégialité. Il faut une collégialité s'il y dispatching.

On assiste donc à une déstructuration inquiétante du mode de fonctionnement actuel de l'ofpra et du cndva.

Recul des droits des DA pour soit disant aller plus vite et dépenser moins d'argent, mais au prix d'un recul des droits et d'une détérioration des conditions d'accueil.

Ce sont les deux grands points qui sont inquiétants mais il y en a d'autres, sur le travail notamment c'est complètement flou car finalement des DA restent sans possibilité de travail sauf si les 6 mois d'instruction de l'OFPRA sont dépassés. Il a des promesses autour des métiers en tension, ce qui est terrible car on prend comme critère un pourcentage d'accueil de personnes venant d'un pays donné donc finalement peu de personnes peuvent postuler.

L'esprit "sécuritaire" revient comme l'a dit Marc

Voilà le bilan actuel, qui est général car nous n'avons pas beaucoup d'éléments mais c'est inquiétant.

Temps de questions-réponses

Question Marianne D. Ligue de l'enseignement 95
Beaucoup de personnes travaillant dans le caritatif ne font pas le lien entre leur action et les conséquences d'une politique catastrophique.
Quand Christine dit "il n'y aura plus de collégialité", qu'est-ce que ça veut dire ? Pour toute affaire portée devant un juge (autre que DA), il n'y pas de collégialité, alors qu'elle est la force de l'argument sur celle spécifique des DA ?
Par ailleurs, sur la fusion avec "France Asile", ne doit-on pas se méfier car fusions sont souvent prétextes à diminuer les effectifs de fonctionnaires en charge de ces structures

Réponse :
Sur le deuxième volet de la question, oui tu as raison, ce sont en général des motivations d'économie plus que de qualité de la prise en charge des personnes accompagnées : cela réduit surtout le nombre de personnes salariées. Ce qui est inquiétant c'est ce mélange OFII / OFPRA et l'OFPRA ne devrait pas être mêlée là-dedans.
Sur la collégialité : on est dans un domaine très particulier avec les demandes d'asile, les personnes demandeuses sont venues parce qu'elles ont subies des problèmes et des violences et elles ont été entendues une fois à l'OFPRA, lorsqu'elles font un recours il faut que leur cas puisse être correctement examiné en fonction de dimensions culturelles, géopolitiques etc... Or tous les juges ne sont pas forcément capables d'apprécier toutes les données d'une affaire.
Vous avez malheureusement un panel de motifs de persécutions qui est important et ces personnes ont été entendues une fois à l'OFPRA et elles font un recours auprès de la CNDA.
En collégialité : qui sont les trois personnes qui la constituent ? Le président de la formation de jugement est un magistrat nommé par le vice-président du Conseil d’État ou par le premier président de la Cour des comptes ou par le ministre de la Justice. Il siège avec deux juges assesseurs, l’un nommé par le vice-président du Conseil d’État et l’autre par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
Ces trois personnes peuvent discuter et échanger de l'information sur la réalité du pays, limitant la force discrétionnaire de la décision, permettant une meilleure compréhension de la demande.
Exemple : un juge seul considérera qu'une personne handicapées qui n'est pas "bien ds sa tête" et qui doit être soignée, ce juge pourra considérer que cette personne peut représenter une menace à l'ordre public
Nous estimons que la collégialité est plus adaptée à l'écoute et la prise en compte de ces personnes.

Marc :
Attention à l'argument, "comme il y a pire, on ne peut pas faire mieux" ça fait penser effectivement à "l’abatage" à laquelle on assiste avec la comparution immédiate.
Tout ça participe à un processus de dégradation du service public, il ne faut pas se leurrer, la prochaine étape c'est la visio conférence : on passe de la collégialité à un juge unique et si le but c'est de rationaliser les coûts, on passera à la visio ! C'est un enjeu de dégradation du service public.

Question, remarque de Dominique Jaulmes : on peut signaler le livre de François Héran "Immigration : le grand déni" (Seuil - mars 2023) qui revient sur tout ça et insiste effectivement sur la nécessaire collégialité pour traiter ces affaires complexes.
J'entends également des arguments qui n'opposent pas la criminalité et la migration et on oppose aussi souvent les difficultés économiques rencontrées en Fce VS "on peut pas accueillir toute la misère du monde"
Ne risque-t-on pas de remplacer les personnels par de l'intelligence artificielle et du numérique ?

Anouchka
Il me semble que l'attribution de l'asile est d'autant plus important qu'il y a la CNDA qui intervient après un refus de l'OFPRA, ce qui souligne l'importance de la collégialité.
Sur la cour national droit d'asile, le nombre d'accord sur l'asile est plus important me semble t il quand il y a recours devant la cour plutôt que devant l'OFPRA ?
BPI : bénéficiaires de la protection internationale

Réponse MARC : le statut de réfugié n'entraine pas protection spécifique vs dble peine, ça n'empêche une OQTF, simplement elles ne peuvent pas être renvoyées dans leur pays d'origine ni régularisées... elles errent généralement dans un no mans'land juridico-administratif.

Question : Concernant le lien entre les recrutements dans les métiers en tension et les nationalités de personnes, quel lien ?
Réponse : Il est prévu dans le projet, à l'article 4 je crois, qu'il vise un accès direct pour les personnes provenant de pays "pas sûrs", c'est à dire un nombre assez important de pays dits "pas sûrs" : les personnes peuvent bénéficier d'un titre leur permettant de travailler si, et seulement si, ces pays sont reconnus à 50 ou 70% "pas sûrs". Par exemple : un Afghan ou un Syrien pourront demander à bénéficier de ce titre car ces nationalités sont reconnues à 50% (de risque?). Ça avait été fait pour les Hotspots en Grèce pour définir la répartition des personnes des Hotspots. C'est un critère de rcnse de la qualité de réfugié ou de protection subsidiaire
Si vous venez d'un pays où c'est 20%, vous n'aurez pas cette autorisation de travail. On est encore dans une logique de mérite, pour ceux dont on sait qu'il y a de force chance qu'ils resteront : si vous venez d'un pays pour lequel vous avez plus de chance d'être reconnu réfugié.

Dépend du taux de reconnaissance du pays par l'ofpra - le droit de travailler dépend du coup vraiment du pays d'origine et de la probabilité d'obtenir le droit d'asile

Question Marine Dori : Darmanin indiquait que cette loi serait une avancée permettant de protéger les droits des travailleurs étrangers... ça a pu être pris par certain comme une bonne nouvelle. Comment décrypter cette communication et apporter une autre vision moins optimiste au vu du contenu général du texte ?

CHRISTINE Il y a quelque chose de bien, de positif effectivement à donner des autorisations de travail mais les critères sont bien trop restrictifs. Ne soyons pas que pessimistes mais par exemple, les métiers en tension, les demandeurs d'asile et les étudiants en sont exclus de ces propositions de travail. Il faudrait creuser du côté du droit du travail.

MARC : cette mesure sur les métiers en tension, c'est une mesurette, qui concernera peu de personnes et du côté de la droite de toute façon, ça ne passera jamais, n’en veulent pas et si ça va à l'Assemblée Nationale, les 82 parlementaires RN crieront à l'ouverture des vannes alors que ça concerne potentiellement très peu de personnes.

Au GISTI nous avons eu énormément d'auditions parlementaires et ce qui en est ressorti c'est que le Sénat avait énormément durci le projet de loi et que de nombreux rapporteurs /parlementaires avaient des connaissances très limitées sur le sujet, ne savaient par exemple pas ce qu'était un centre de rétention administrative.
Il ne faut pas sous-estimer le degré de méconnaissance ou de préjugés d'un certain nombre d'élus

L'une des clés est de ne pas se leurrer, cette loi est répressive, point. En changeant de paradigme, de position et en disant clairement "cette loi est répressive, point" c'est mener un combat auprès de l'option publique plus efficient.

Jean-B du CAC signale l'info d'un "parlement de rue" prévue le 1er juillet sur le parvis de l'hôtel de ville par plusieurs organisations (Crid, Fasti, Cimade, Forim, CCFD…) dont vous trouverez la note d’intention « Organisation d’une mobilisation de rue contre le projet de loi Asile et Immigration » : http://www.associations-citoyennes.net/wp-content/uploads/2023/04/202304_Mobilisation_Projet_de_Loi_Asile_et_Immigration_Note_Intention.pdf
C'est une action autour d'une mise en scène humoristique et théâtrale d'une audition en commission parlementaire dans la rue, en amont de la discussion de la loi à l'Assemblée nationale.

Est-ce qu'il y a un axe spécifique autour des réfugiés climatiques (dans cette loi ?), dans les débats parlementaires ou le débat public ?
Une vraie question, mais pas de posture claire ou d'éléments concrets de prise en compte (ni au parlement ni ailleurs)
Côté Cimade : nous défendons la liberté de circulation et d'installation mais pas de sujet spécifique discuté autour des réfugiés climatiques. Il ne semble pas que la question fasse l'objet de débat parlementaire, de circulaire ou autre.

Question concrète de calendrier

- Une version a été votée par la commission des lois du Sénat, qui a donc été considérablement durcie par le Sénat
- Les débats sur les retraites ont pris l'espace à l'Assemblée, repoussant le vote de cette nouvelle loi Asile et Immigration
- Darmanin dit avant la fin de l'année, Macron avant la fin de l'été, on va assister très certainement à un saucissonnage de la loi

Que pensez-vous de la proposition d'une convention citoyenne sur le climat ?
Marc : côté Cimade, pas de position tranchée encore même si à priori on a un regard plutôt favorable

• JB : lien vers les travaux de l'association Sciences citoyennes sur le process à mettre en place pour des conventions citoyennes réellement démocratiques (les conditions)
Sciences Citoyennes : la Convention Citoyenne est une procédure de participation qui combine une formation préalable (où les citoyens étudient), une intervention active (où les citoyens interrogent) et un positionnement collectif (où les citoyens rendent un avis) - info, brochure et détails ici : https://sciencescitoyennes.org/conventions-citoyennes/