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Chacun cherche son impact



Evaluation d'impact social, mesure d'impact social, mesure d'empreinte social voire création de valeurs, les associations sont sommées de faire la preuve de leur utilité via de multiples méthodes d'évaluation. L'association la boite sans projet nous mettait en garde avec un cahier de résistance : évaluer tue

Certaines dénoncent la méthodologie centrée uniquement sur le prisme financier portée par les méthodes de mesures d'impact social et proposent des contre-modèles qui toutefois s'inscrivent encore dans une optique de devoir faire la preuve de son utilité comme cette méthode de mesure d'empreinte sociale qui, si elle peut partir d'une bonne intention (mais l'enfer...) demanderait au final un bataillon de sociologues pour démontrer que l'action agit... et détournerait peut-être du temps nécessaire à cette action.

Mesurer l’impact social devient une injonction courante des financeurs tant publics que privés. Cette injonction entraîne une transformation profonde de la politique associative. Pourtant, elle entre de plus en plus dans le langage courant des associations, s’invite comme une évidence pour réussir à faire la preuve que l’action est efficace. Elle s’impose comme incontournable et neutre pour rendre visible l’utilité sociale des associations. Or rien de moins neutre que cette notion qui permet la marchandisation tranquille de l’action associative.

La notion de mesure d’impact social est intimement liée à la notion d’investissement à impact social qui vise donc à allier action sociale et retour financier calculé sur des résultats à atteindre. Une approche qui dans le même temps financiarise et dépolitise tout le secteur de l’action associative.
« Le propre de l’impact social est d’être mesurable », écrivent Emmanuelle Besançon et Nicolas Chochoy de l’institut Godin, qui décryptent ce phénomène en soulignant que cette logique « suppose de considérer les grands problèmes sociaux comme des enjeux techniques » alors dans ce cadre, à chaque problème, sa solution et il suffit qu’un « opérateur social » la mette en oeuvre.

Par ailleurs, elle pense possible d’isoler l’effet d’une organisation sur une population cible pour pouvoir le mesurer, indépendamment de tout l’environnement dans lequel cette population vit. Cette approche s’inscrit dans une vision managériale calquée sur le modèle de l’entreprise appliquée à l’association. Cette dernière étant dans ce cadre de plus en plus poussée à devenir « entrepreneuriat social ». Cette gestion axée sur les résultats (GAR) veut la preuve que les ressources investies amènent aux résultats prédéfinis.
Pour se faire, il faut donc construire une batterie d’indicateurs. Tout un marché s’est désormais constitué pour répondre à ce besoin.

Dans un webinaire consacré à la mesure de l’impact social proposé par l’Avise le 7 juin 2022, deux associations racontaient leur expérience de ces évaluations. Elles expliquaient toutes les deux que c’était désormais un attendu des financeurs et que cela permettait de « faire la preuve de son utilité », « de rendre plus lisibles nos actions ».
L‘association Rev’elles qui accompagne depuis 2010 des jeunes filles de quartiers populaires pour qu’elles gagnent confiance en elles dans leurs démarches professionnelles annonçait qu’elle avait engagé 50 000 euros pour être suivie par le cabinet spécialisé Eexiste afin de mesurer son impact social. Ils avaient construit ensemble 25 indicateurs autour de trois axes, l’évaluation du rapport à soi, du rapport aux autres et de la projection dans l’avenir des jeunes filles accompagnées. L’Avise qui portait ce webinaire estimait à 15% du budget des projets la part qui devait être dédié à l’évaluation de l’impact social. L’association qui fait appel à un cabinet de conseil spécialisé doit compter a minima 15 000 euros pour financer ce travail.

Les indicateurs canaliseront l’action, analyse l’institut Godin. « En d’autres termes, alors même que l’action n’est pas encore en marche, la GAR implique de prédéterminer des effets objectivables et des indicateurs liés qui deviennent le modèle que l’action doit suivre pour se conformer à ce qui a été prédéterminé. Les résultats et les impacts deviennent la norme à suivre, et la démarche d’évaluation consiste à vérifier la conformité à cette norme autodéterminée par les acteurs en présence ».
Une méthode qui corsète l’action associative, empêche toute innovation, et étouffe toute possibilité d’action politique.

Un très récent rapport gouvernemental intitulé « Evaluation des actions associatives » est sorti au mois d’avril dernier, il veut installer une « culture de l’évaluation » au sein du monde associatif et « harmoniser les méthodes » notamment en s’appuyant sur la mesure de l’impact social.
L’idéologie portée par les auteurs du rapport apparaît clairement dès les premières pages. Les associations sont « en retard » sur cette question d’évaluation par rapport aux méthodes du privé bien plus « efficaces ». Si les grandes associations « ont pris conscience de la nécessité de se doter de processus de reporting extra-financier. Malheureusement, elles n’ont pas atteint le même niveau de maturité (NDLR : que les entreprises ayant mis en place leur politique de RSE) en matière de mise en œuvre et d’efficacité opérationnelle ».

On l’avait compris, les associations sont définitivement has been. Pourtant, curieusement, dans l’enquête envoyée dans le cadre de la réalisation de ce rapport aux associations, 84% des répondants disaient réaliser des évaluations de leurs actions… Peut-être n’est-ce pas les « bonnes » méthodes d’évaluation qu’elles utilisent ? En effet, le rapport vise une méthode unique : celle de la mesure de l’impact social, elle envisage même un référentiel unique pour tout le monde associatif. Finalement, il propose plutôt des référentiels sectoriels.
La mesure de l’impact semble donc incontournable et pourtant elle interroge en profondeur les relations entre les associations et leurs financeurs qu’ils soient publics ou privés. D’ailleurs le terme association tend à disparaître de ce paysage pour devenir un « porteur de projet », « une entreprise de l’ESS », un « opérateur social », un « entrepreneuriat social ». Le terme association paraît moins commode. Il renvoie à la notion de liberté associative, de transformation sociale, d’émancipation qui, sans doute, ne colle pas parfaitement à la mesure de l’impact social. Cette dernière exige en effet un « langage commun » entre « porteur de projet » et financeurs pour se mettre d’accord sur la mesure d’impact admise, sur les résultats attendus. Dès lors, elle place les associations en opérateur contrôlé par un référentiel d’indicateurs préétablis, à remplir, vérifier, comparer pour faire preuve de son impact. Un carcan rigide qui annihile toute velléité de revendications politiques et encore moins de désobéissance civile. Présentées comme neutres et utiles pour prouver l’efficacité des actions, ces méthodes de mesures d’impact sont en réalité une manière de brider les mouvements sociaux qui inquiètent le modèle économique dominant.