🌎 Génèse




Les marchés ne seraient pas seulement dotés d’une main invisible mais également d’un «coeur invisible» : l’investissement à impact (social) ou «impact investing»
Pour Ronald Cohen, homme d’affaire anglais et président de la task force sur l’investissement à impact social « le monde est à l’aube d’une révolution dans la façon de résoudre les problèmes les plus épineux de la société »… Désormais « devenir prospère et faire le bien ne sont plus considérés comme incompatibles »
Le mécanisme serait simple : permettre à des financeurs privés (philanthropes) de placer leur argent dans des programmes à impact social avec un retour sur investissement en fonction des résultats.

En France, Hugues Sibille vice-président du crédit coopératif précise le contexte : « l’importance historique de l’approche subventionnelle publique entrée dans une ère hypercontrainte implique une forte mutation » (…) « parce que nous sommes en transition socio-économique et qu’il faudra bien inventer de nouvelles approches sociales, comment passer de la dépense sociale à l’investissement social en conservant des objectifs d’intérêt général »
L’une des solutions préconisées avec enthousiasme dans le rapport Sibille est l’une des formes de l’investissement à impact : les Contrats à Impact Social (déclinaison française des Social Impact Bond)

Introduits en France en 2016 via un appel à projet national lancé par M. Pinville secrétaire d’État à l’ESS et partie intégrante du programme présidentiel d’Emmanuel Macron :
« Je veux poursuivre le déploiement des contrats à impact social pour financer, grâce à des partenaires privés, des expérimentations de programmes sociaux de prévention innovant ». « Est-il éthique que certaines organisations puissent espérer une rémunération sur des crédits destinés à des projets sociaux au centre desquels se jouent des destins humains ?» demande la fondation fondapol
La question ne semble guère se poser pour les thuriféraires des investissements à impact, leur interrogation est bien plutôt pragmatiquement celle de l’efficacité. « Ce changement de mentalité n’arrivera pas du jour au lendemain, il faudra bien dix à vingt ans pour que le phénomène prenne toute son ampleur parce qu’il faut du temps pour bâtir des modèles à suivre », pense Sir Ronald Cohen.

Social finance, l’entreprise de Ronald Cohen a financé les premiers SIB en Angleterre en identifiant 4 secteurs potentiels : la lutte contre la récidive, l’exclusion scolaire, le placement d’enfants, l’hospitalisation des personnes âgées. Quelle est la manne financière de ce nouveau filon ?
En 2009, le marché de l’investissement à impact était estimé à 500 milliards de $ sur une période de 5 à 10 ans selon l’institut Monitor (filière du cabinet d’audit et de conseil financier Deloitte)
… et à 1 000 milliards de $ par la banque américaine Morgan Stanley
Le doigt mouillé de Ronald Cohen affirmait lui en 2014 « l’investissement impactant peut offrir un rendement de 7 à 10 % l’an, net de frais, alors il pourrait représenter 3 à 5 % de l’allocation d’épargne des ménages les plus aisés et des portefeuilles des fondations à l’horizon des 10 ou 20 prochaines années »
Les CIS ne représenteraient que 0,0003 % de ces investissements de genre nouveau (46 milliards d’€) en 2014 /selon le « rapport moral de l’argent dans le monde » … mais ils sont emblématiques des nouveaux mécanismes qui vont désormais permettre aux problématiques sociales… de devenir rentable.

L’essentiel de cette page vient de la lecture du dossier « LE SOCIAL, UN MARCHÉ PROMETTEUR » - Lien social octobre 2017

🌎 Chronologie



  • 2007 : ArrivĂ©e du New public management en France avec la rĂ©vision gĂ©nĂ©rale des politiques publiques (RGPP) puis en 2011 par la modernisation de l’action publique (MAP). Leurs principes : refonder la fonction publique, notamment en rĂ©duisant ses effectifs, en appliquant les règles de gestion du secteur privĂ©, prĂ©sentĂ© comme plus efficaces que celles du secteur public, inscrire la France dans ce qui est proposĂ© comme la « modernitĂ© » offerte par la mondialisation Ă©conomique et financière. Il place les principes de l’économie de marchĂ© au cĹ“ur du secteur public. A partir de cette date, les alertes sur les risques psycho-sociaux dans le secteur public augmentent puisque les agents du secteur public sont pris entre des enjeux de rĂ©ductions budgĂ©taires et la nĂ©cessitĂ© de rĂ©pondre aux besoins des personnes usagers des services publics.


  • 2010 : Circulaire Fillon du 10 janvier relative aux relations entre les pouvoirs publics et les associations. Elle dĂ©finit le cadre lĂ©gislatif des appels Ă  projets, marchĂ©s publics, dĂ©lĂ©gations de mission de service public et note qu’un « nombre croissant d’activitĂ©s exercĂ©es par les associations (…) sont considĂ©rĂ©es comme Ă©tant de nature Ă©conomique ». Dès lors, pourquoi distinguer les associations des entreprises ? La circulaire dit transposer le droit europĂ©en, notamment la directive Service, toutefois cette directive laisse une marge de manĹ“uvre aux Etats. La France dĂ©cide d’étendre, via cette circulaire, la rĂ©glementation europĂ©enne des aides aux entreprises Ă  l’ensemble des subventions et classe dès lors toutes les activitĂ©s associatives dans le champ des services Ă©conomiques d’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral. Le collectif des associations citoyennes se créée en rĂ©action Ă  cette circulaire, contre la marchandisation de l’action associative et juge que ce texte porte atteinte aux libertĂ©s associatives. Le CAC Ă©crit alors : « D’emblĂ©e, la circulaire Fillon remet en cause la contribution des associations Ă  l’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral avec un risque accru de transformer les associations en « entreprises associatives » et leurs activitĂ©s en production marchande ».

  • En Angleterre, le premier Social impact bond entre en oeuvre dans la prison de Petersborough. Il vise Ă  rĂ©duire la rĂ©cidive des sortants de prison.

  • 2014 : la loi Hamon relative Ă  l’économie sociale et solidaire du 31 juillet ouvre la possibilitĂ© aux sociĂ©tĂ©s commerciales d’être reconnues comme des entreprises de l’économie sociale et solidaire. Elle cadre le pĂ©rimètre de l’économie sociale et solidaire, notamment en dĂ©finissant des notions comme la lucrativitĂ© limitĂ©e qui stipule que les bĂ©nĂ©fices sont majoritairement rĂ©investis dans l’organisation, l’encadrement de l’échelle des salaires, le cadre de la gouvernance. Elle installe l’agrĂ©ment d’entreprise solidaire d’utilitĂ© sociale (ESUS) qui permet aux entreprises qui en bĂ©nĂ©ficient d’accĂ©der Ă  des financements publics, d’être Ă©ligible au DLA, d’avoir recours Ă  des services civiques… Par ailleurs, la loi Hamon offre la possibilitĂ© pour les associations reconnues d’utilitĂ© publique de possĂ©der ou d’acquĂ©rir des biens immobiliers, de les gĂ©rer lorsqu’elle les reçoit par legs et dons, jusqu’alors, sauf exception, elle Ă©tait dans l’obligation des les vendre. Elle facilite la fusion des associations.

  • En septembre, le comitĂ© français sur l’investissement Ă  impact social prĂ©sidĂ© par Hugues Sibille du crĂ©dit coopĂ©ratif publie un rapport intitulĂ© : « Comment et pourquoi favoriser des investissements Ă  impact social ? Innover financièrement pour innover socialement ». Il est rĂ©alisĂ© dans le cadre d’une mission confiĂ©e conjointement par le ministre dĂ©lĂ©guĂ© Ă  l’économie sociale et solidaire, Benoit Hamon, et Sir Ronald Cohen, prĂ©sident de la Taskforce internationale sur l’investissement Ă  impact social lancĂ©e en marge du G8 en juin 2013. A l’époque, Le rapport est remis Ă  Carole Delga, secrĂ©taire d’Etat chargĂ©e de l’économie sociale et solidaire, qui l’enterre…

  • En Belgique, l'association Duo for a job et l'agence bruxelloise pour l'emploi, avec le soutien de la rĂ©gion et du gouvernement, signent le premier contrat Ă  impact social d'Europe continentale destinĂ© aux jeunes demandeurs d'emploi issus de l'immigration dans la rĂ©gion bruxelloise.

  • 2015 : Circulaire Valls remplace la circulaire Fillon et permet, signale alors le CAC, de « sortir de la logique du « tout prestataire ou marchand » qui prĂ©valait avant ». Toutefois, elle n’inversera pas la tendance aux recours de plus en plus important aux appels d’offre pour financer l’action associative, des appels qui impriment une logique de mise en concurrence et de marchĂ© sur l’action associative.

  • 2016 : Le 16 mars, premier appel d’offre qui lance les contrats Ă  impact social en France et dĂ©terre les prĂ©conisations du rapport d’Hugues Sibille. Sous la houlette de Martine Pinville, secrĂ©taire d’Etat Ă  l’économie sociale et solidaire, ce premier appel Ă  projet connaĂ®tra un succès mitigĂ© avec au final 7 projets retenus.

  • 10 juin, le CrĂ©dit CoopĂ©ratif, la Caisse des DĂ©pĂ´ts, le Centre Français des Fonds et des Fondations, Finansol, et le MOUVement des Entrepreneurs Sociaux créé l’Impact Invest Lab, l’IIlab, une plateforme d’expĂ©rimentation et de dĂ©veloppement des CIS, qui plus tard fusionnera avec Finansol pour devenir FAIR. Elle accompagne des associations dans la rĂ©alisation des CIS en faisant des Ă©tudes de faisabilitĂ©.

  • Nov : Signature du premier CIS avec l’ADIE


  • 2017 : Dans son programme prĂ©sidentiel, Emmanuel Macron Ă©crit vouloir « poursuivre le dĂ©ploiement des contrats Ă  impact social pour financer, grâce Ă  des partenaires privĂ©s, des expĂ©rimentations de programmes sociaux de prĂ©vention innovant ».

  • Le 6 septembre, la nomination de Christophe Itier au poste nouvellement créé de Haut commissaire Ă  l’économie sociale et solidaire ancre cette volontĂ© prĂ©sidentielle. Christophe Itier Ă©tait alors le chef de file de la RĂ©publique en marche dans le Nord-Pas de Calais, proche de Jean-Marc Borello, prĂ©sident du groupe SOS, Ă©galement pilier d’En marche. Christophe Itier proposait un contrat Ă  impact social (qui n’a jamais vu le jour) Ă  la Sauvegarde du Nord dont il avait Ă©tĂ© le directeur.

  • 2019 : Suite au relatif Ă©chec du premier appel Ă  projet, un groupe de travail est organisĂ©, prĂ©sidĂ© par FrĂ©dĂ©ric Lavenir, Inspecteur gĂ©nĂ©ral des finances mais aussi prĂ©sident de l’ADIE, la première association qui a signĂ© un contrat Ă  impact social, et fervent dĂ©fenseur de ces contrats. Il lui est confiĂ© une mission pour dĂ©velopper les contrats Ă  impact social. En 2019, il publie son rapport qui prĂ©conise une simplification de l’outil, son utilisation pour des projets « dont l’efficacitĂ© est prouvĂ©e » (exit donc l’innovation sociale) et dont « l’impact est mesurable de manière quantifiĂ©e, consensuelle et Ă  un coĂ»t faible ». Il appelle Ă©galement Ă  un engagement fort de l’Etat, notamment par la mise en place d’un Fonds de paiement aux rĂ©sultats Ă  l’image de ce que font les Britanniques.

  • 2020 : Olivia GrĂ©goire est nommĂ©e secrĂ©taire d’Etat chargĂ©e de l’économie sociale solidaire et responsable. Elle avoue « sa passion » pour les contrats Ă  impact social et relance un appel Ă  projet en septembre 2020 avec un appel Ă  projet de contrat Ă  impact « Ă©conomie circulaire » portĂ© par l’Ademe. Huit contrats seront sĂ©lectionnĂ©s dans ce cadre. Un deuxième appel Ă  projet sera lancĂ© sur « l’égalitĂ© des chances Ă©conomiques » qui se conclura par 4 laurĂ©ats, enfin un troisième appel Ă  projet intitulĂ© « Innover pour accĂ©der Ă  l’emploi », comptera 9 laurĂ©ats.

  • 2021 : "Plateforme Impact" Le gouvernement lance une plateforme pour "rĂ©unir les savoir-faire" des entreprises en matière d'Ă©valuation des "performances Ă©cologiques et sociales" de leurs activitĂ©s. Ă€ la clĂ© un manifeste d'engagement qui ne sera pas sans rappeler le champ lexical du greenwashing entrepreneurial.

  • Le capitalisme Ă  visage humain Ă  de beaux jours devant lui Essec propose de se retrouver autours d'un "Lunch and Learn" afin de discuter autours des "hĂ©ritiers rebelles". Qui sont ces nouveaux philanthropes qui cherchent Ă  lutter contre " la reproduction de leur fortune" en "payant des impĂ´ts" ? Une vĂ©ritable rĂ©volution!

  • 2022 : MalgrĂ© les « simplifications » proposĂ©es par le rapport Lavenir et la promotion farouche de ces outils par Olivia GrĂ©goire, les CIS n’ont toujours pas de succès. Une nouvelle mission pour « massifier » les contrats Ă  impact social est confiĂ©e Ă  Thomas Cazenave, Inspecteur des Finances. PassĂ© cadre Ă  Orange et Ă  Pole emploi avant de devenir directeur adjoint du cabinet d’Emmanuel Macron lorsqu’il Ă©tait au ministère de l’Economie, puis tĂŞte de liste de la RĂ©publique en marche aux Ă©lections municipales de Bordeaux. Il pilote le groupe de travail sur la rĂ©organisation des administrations pour le programme 2022 d’Emmanuel Macron. Son rapport rendu en mars 2022 prĂ©conise une nouvelle « simplification » des contrats Ă  impact en levant les « freins » administratifs, notamment en proposant de dĂ©verrouiller les taux d’intĂ©rĂŞts de ces contrats pour les investisseurs jusqu’alors maintenue entre 2 et 6% Ă  8 Ă  10%.

  • Dans son programme prĂ©sidentiel, Emmanuel Macron fait le bilan de son quinquennat en matière d’économie sociale et solidaire en se vantant d’avoir « valoriser et dĂ©velopper l’échelle des innovations de tous les territoires, les contrats Ă  impact ont Ă©tĂ© simplifiĂ©s, Ă©tendus et amplifiĂ©s ».