Comédienne et codirectrice artistique de la Compagnie L'Arbre

Le quinquennat d’E. Macron s’achève actuellement. En prenant un peu de hauteur sur l’actualité, que souhaiteriez-vous exprimer sur son bilan en matière de vie associative ? De manière générale, a-t-on plutôt assisté à des avancés ? Des reculs ? Que peut-on retenir, selon vous, globalement, de ces 60 derniers mois ? *la fin des emplois aidés et leur non-renouvellement a mis en danger des associations, y compris celles qui jouaient le jeu, sur des territoires ruraux non attractifs, de former des personnes embauchées en CDI en échange de l'aide de l'Etat sur deux fois un an. Même si d'autres emplois aidés sont arrivés, cela a eu un impact à long terme car décrypter des dispositifs qui changent tout le temps est un travail à part entière, et il n'y avait plus de confiance dans l'Etat, puisque des contrats qui devaient être renouvelés n'avaient pas pu l'être. *la mise en place du FDVA a constitué une avancée car le rôle social des associations de proximité faiblement employeuses s'est vu reconnaître par une aide au fonctionnement, ce qui est assez unique, pas à la hauteur certes des aides supprimées. * sur les libertés, la loi Sécurité globale laisse planer la menace d'un contrôle accru et d'une marginalisation des associations militantes comme c'est déjà le cas dans certaines collectivités. Même si la pression n'est "que" financière, cela participe d'un état d'esprit général qui fait que des élus locaux ont pu nous dire en face, ou écrire par sms, que nos spectacles n'étaient pas les bienvenus dans les salles de leur collectivités car trop engagés. Donc le bilan est un rétrécissement de l'espace public pour les associations, avec une liberté d'expression théorique, mais pas de lieu pour l'exercer. Même les panneaux des communes voisines nous sont interdits, au prétexte fallacieux qu'ils seraient réservés aux associations de la commune. * la prise en compte de l'égalité h/f en conditionnant le versement de subventions à la formation d'un référent n'est pas une mesure satisfaisante car pour des petites associations c'est encore une contrainte qui va reposer sur des bénévoles déjà épuisés. Par exemple sur les femmes qui les tiennent déjà à bout de bras. Globalement, on assiste à deux évolutions contradictoires : un certain rétrécissement de l'espace pour les associations d'intérêt général d'une part, un affinement de la connaissance du terrain d'autre part avec un début de reconnaissance de leurs capacités spécifiques. Entre les deux, la croissance d'un corps d'experts et consultants, tout un secteur dans le secteur associatif, chargé d'analyser et accompagner les acteurs du terrain, et parfois mieux financé qu'eux.
Dans votre domaine d’activité, quelles vous semblent être les évolutions les plus marquantes à relever ? Le paysage a-t-il changé ? Par rapport à 2017, quelle est la situation dans votre secteur ? * de plus en plus de démarches qui étaient le fait des administrations sont dévolues maintenant aux associations (paramétrage du compte AT/MP, logiciel de billetterie...). Par conséquent, même quand on fait tout bien, on ne s'en sort pas (burn-tout, épuisement). On assiste à une professionnalisation à marche forcée d'un secteur non lucratif où les bénévoles sont exclus/ou surexploités alors même que les conditions pour appliquer le droit du travail et de justes rémunérations ne sont pas réunies (turn-over important dans l'administration du spectacle). Le risque est de fragiliser l'initiative artistique en laissant croître des regroupements économiques faire le boulot (boîtes de production pour le spectacle) et donc être décisionnaires sans être à l'origine du projet. A travers ces dispositifs d'accompagnement et autres injonctions de formation on formate l'offre associative (logique de diffusion et d'"action culturelle décentralisée"), et on décourage ses acteurs qui étaient pourtant en capacité de créer de la demande en étant au plus près de leur public (logique de l'infusion et des droits culturels). C'est particulièrement vrai pour les artistes dont beaucoup se reconvertissent (souvent en créant leur activité dans des conditions encore plus précaires comme c'est le cas pour certains métiers du soin) parce qu'ils ne sont pas en capacité d'assumer les contraintes administratives, juridiques et financières, d'une complexité croissante, de leur activité artistique. * la logique d'appel à projets va dans le même sens ; c'est une logique d'exclusion. Il y a 20 ans on a proposé une offre artistique sur un territoire qui en était dépourvu. Maintenant non seulement on subit une politique culturelle locale qui nous ignore délibérément et propose des tarifs artificiellement bas sans nous inclure, mais on reçoit des appels à projet d'autres collectivités pour agir sur des territoires que nous ne connaissons pas. Souvent, c'est du temps perdu d'y répondre car les structures étaient déjà choisies de façon tacite. Et pour les subventionnements, cette logique aboutit à travailler gratuitement ou à perte dans le cas où la candidature n'est pas retenue. Cette évolution est ancienne, mais elle s'est intensifiée depuis 2017 avec la valorisation de l'entreprenariat culturel. * le passe culture est une catastrophe pour les équipes artistiques car l'enveloppe concerne d'une part les chef.fe.s d'établissement pour l'éducation artistique et culturelle mais dans une logique commerciale de catalogue d'actions, contrairement au répertoire d'artistes et de compagnies qui existait jusqu'à présent et permettait des propositions ajustées au territoire et aux spécificités de l'équipe et des élèves. D'autre part l'enveloppe allouée individuellement à chaque jeune est fléchée presque exclusivement sur le numérique et les industries culturelles. C'est comme si on subventionnait les hypermarchés au détriment des magasins de proximité et l'agriculture intensive au détriment de l'agriculture bio locale équitable.
Nous entrons donc dans un moment charnière entre deux quinquennats. Dans cette campagne électorale qui commence avez-vous déjà entendu des idées, des pistes d’action, des propositions qui ont particulièrement retenues votre attention ?… Et si non, pensez-vous à des idées, des pistes d’actions ou des propositions que vous aimeriez entendre ces prochaines semaines et ces prochains mois ? - les propositions du Synavi (Syndicat national des arts vivants) pour "changer de paradigme" ont commencé à infuser auprès des interlocuteurs des institutions, qui commencent à accorder de la considération à des projets artistiques centrés sur la relation avec le public plutôt que sur la création déconnectée du public. Il y a toujours une culture à deux vitesses avec des projets sur-financés et des projets sous-financés. Le mouvement d'occupation des théâtres a vu proposer des initiatives pour remettre de la solidarité dans un secteur très concurrentiel, par exemple avec les initiatives comme les "paniers culturels" en pays de la Loire, reprises en Auvergne-Rhône-Alpes. - J'ai défendu pendant le confinement une "présomption d'utilité publique" pour toutes les équipes artistiques capables de rendre compte de leur action artistique sur des indicateurs objectifs sans passer par "l'expertise" d'opérateurs culturels qui ne sont pas légitimes pour attribuer un label d'"excellence" trop souvent utilisé pour exclure.
Nous sommes le 1er mai 2022. Et, c’est une immense surprise mais vous venez d’être nommé Ministre chargé de la vie associative par le candidat issu de la primaire populaire qui vient d’être élu (contre toute attente) à la présidence de la République. Quelles sont les premières mesures sur lesquelles vous décidez alors de travailler ? Par le candidat issu de la primaire populaire ? Populaire ça veut dire qu'on a le droit de dire n'importe quoi et ça passe ? Que ce n'est pas la peine de bosser sur un programme? Bon disons que la candidature que j'ai soutenue, et pour laquelle j'ai participé en octobre à un rassemblement en tant que tirée au sort alors que je n'aurais jamais participé si je n'avais pas été tirée au sort ainsi que les autres mères de famille débordées que j'y ai croisées, cela me permettant de croiser aussi les auteurs et autrices du programme notamment un grand nombre de personnes en situation de handicap, ainsi que tout un collectif de personnalités déjà engagées dans la vie publique et prêtes à assumer un rôle de gouvernement - disons que cette candidature remporte l'élection présidentielle. Et contre toute attente on me propose d'être ministre chargée de la vie associative. Je liste quelques mesures que j'avais d'abord inscrites plus haut : - une maison des associations ou local associatif dans chaque commune ouverte de façon encadrée mais inconditionnelle aux associations d'intérêt général - des aides au fonctionnement pluriannuelles pour donner de la visibilité aux associations qui peuvent témoigner d'une utilité sociale - revoir l'échéance des aides pour qu'elles ne mettent pas en difficulté les associations (par exemple début février pour le FDVA, c'est trop tôt pour des assos dont l'exercice finit au 31 août, parce qu'elle n'ont pas forcément encore clos leurs comptes). Peut-être que la possibilité de déposer des demandes toute l'année avec des commissions plusieurs fois par an permettrait de fluidifier le fonctionnement des dispositifs existants et de s'adapter. - transports en commun à la campagne pour faciliter la mobilité des bénévoles, salariés et usagers des associations
Autre chose à ajouter ? Pour le moment non.
Souhaitez-vous l'anonymat lors de la restitution des résultats de l'enquête ? NON