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ALTERNATIBA POITIERS

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DÉSOBEISSANCE CIVILE

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2023 : le jugement

Action en justice

Le 30 nov 2023 le tribunal administratif donne tort au préfet de la Vienne

2nd revers : Le tribunal administratif a rejeté, ce jeudi 30 novembre 2023, les déférés du préfet de la Vienne. Ce qui veut dire que Poitiers et Grand Poitiers étaient en droit de maintenir les subventions attribuées, ce que contestait le préfet de la Vienne Jean-Marie Girier.




C’est une décision qui donne une première application raisonnée et exigeante du manquement au CER, ce qui est évidemment rassurant pour l’avenir.
L’intervention de toutes les associations et syndicats a par ailleurs été admise.
C’est une belle victoire collective.

Le combat doit naturellement continuer puisque l’instrumentalisation du contrat d’engagement républicain est toujours en cours contre plusieurs associations en particulier en Aquitaine ou dans le département du Nord. Des contentieux sont en cours, en particulier s’agissant de la compagnie d’arts vivants Arlette Moreau, et une intervention similaire à celle faite pour Alternatiba sera utile.

Marion OGIER & Lionel CRUSOE
Avocats à la Cour

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par Edgar Priour-Martin (CAC)

Le plus intéressant se trouve à la fin, où le juge relève qu'il s'agissait principalement ce jour-là de désobéissance non violente (sans se prononcer sur d'autres évènements proches dans le temps, comme à Sainte Soline)

14. Le préfet soutient que l’association n’a pas respecté le contrat d’engagement républicain... Il fait valoir à ce titre que les propos relevés lors de la manifestation ainsi que formations qui y ont été dispensées démontrent que l’association tend à inciter à l’organisation d’actions manifestement contraires à la loi, violentes ou susceptibles de troubler l’ordre public et que le Village des Alternatives a permis une mobilisation pour les manifestations à venir qui se sont notamment déroulées à Sainte-Soline les 29 et 30 octobre 2022, et plus généralement a été une incitation voire une caution à l’organisation d’actions violentes ultérieures.

15. Toutefois, ... 16. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le Village des Alternatives des 17 et 18 septembre 2022 comportait, outre des spectacles musicaux, des animations et des expositions, des tables-rondes sur des thèmes divers comme « Une agriculture écologique et durable pour une résilience et une démocratie alimentaire », « Se protéger des substances chimiques», « La maison autonome : boire, manger, construire »... ensemble la vie d’après », « Comment réduire, trier et réutiliser au mieux les déchets au niveau individuel et pour les collectivités territoriales », et ne peut donc se résumer au seul atelier « résister » mis en exergue par le préfet. Au regard du programme général de l’événement, il ne saurait ainsi être soutenu que l’événement dans son principe visait à inciter à des actions à la fois manifestement contraires à la loi et violentes ou susceptibles d’entraîner des troubles graves à l’ordre public.

17. En troisième lieu, les éléments du dossier relatifs à l’atelier « résister » font apparaître qu’au cours de la journée du samedi 17 septembre, un débat retransmis sur deux chaînes de radio s’est tenu sur le thème « Face au dérèglement climatique et son impact sur la ressource en eau : les bassines sont-elles une solution ? », puis une formation sur la désobéissance civile qui était animée par Extinction rébellion Poitiers et Greenpeace Poitiers. Le dimanche 18 septembre, ont été organisés un « débat mouvant actions violentes/actions non violentes » et une formation « on passe à l’action ». Si, lors du débat du 17 septembre, dans les extraits cités dans les écritures du préfet, le porte-parole de l’association « Bassines Non merci » et le référent « Eau » de la confédération paysanne de la Vienne ont revendiqué et encouragé des actions de désobéissance civile sur le chantier de Sainte-Soline sur lequel était édifiée une retenue d’eau agricole, ces propos n’ont pas été tenus par des dirigeants, salariés, membres ou bénévoles de l’association Alternatiba Poitiers et ils ne peuvent être regardés comme des provocations à la haine ou à la violence envers quiconque que l’association aurait implicitement cautionnées. Par ailleurs, à l’occasion de la formation sur la désobéissance civile qui a eu lieu le 17 septembre, les animateurs, qui ont attesté le contenu de cette formation, sont revenus sur l’histoire de la désobéissance civile non violente, qui a été présentée, lors de cette formation, comme « refus assumé et public de se soumettre à une loi, un pouvoir jugé illégitime » et « un des aspects du droit à la liberté d’expression ». Les participants ont ensuite débattu d’exemples de désobéissance civile non violente. Ce débat a été enfin suivi d’un atelier pratique dénommé « on passe à l’action » qui a consisté à déployer une banderole dénonciatrice pendant un meeting politique et à des jeux de rôles entre les participants, certains étant affectés à la médiation pour apaiser les personnes présentes lors de cette « manifestation », d’autres étant affectés à la communication pour faire comprendre l’action au public et d’autres encore au contact avec les forces de l’ordre pour leur expliquer l’action et son caractère non violent. Ainsi, à aucun moment, les participants n’ont été incités par les animateurs de cette formation et de cet atelier à effectuer ou à mettre en œuvre des actions violentes ou de nature à troubler gravement l’ordre public, ni subis des provocations à la haine ou à la violence envers quiconque que l’association aurait implicitement cautionnées.

18. Il suit de là que l’association Alternatiba Poitiers n’a pas méconnu les engagements n°1 et n°5 du contrat d’engagement républicain qu’il lui appartenait de respecter pour pouvoir bénéficier de subventions publiques. Dès lors, en refusant d’engager la procédure de restitution de la subvention telle que prévue par l’article 10-1, 8ème alinéa de la loi du 12 avril 2000, le conseil municipal de Poitiers et le conseil communautaire de la communauté urbaine de Grand Poitiers n’ont pas fait une inexacte application desdites dispositions.

Le 9 novembre, le rapporteur public avait conclu au rejet des demandes de la Préfecture
1er revers : le tribunal administratif de Poitiers rendait ses conclusions dans la procédure opposant le préfet de la Vienne, Jean-Marie Girier contre la Ville et l’agglomération de Poitiers qui s'opposaient à sa demande de retrait de subvention à une association.

CR audience Alternatiba (réalisé par Elise de la Cimade) :

La préfecture dans ses déférés invoquait :
  • La nullité des délibérations ayant entraîné l’octroi / le maintien des subventions (parce que la décision n’aurait pas été motivée et signée ; parce qu’il s’agissait d’une opération complexe). -> Le rapporteur public a rejeté ces deux arguments et a rappelé que ce raisonnement était une mise en péril de la sécurité juridique des décisions octroyant des subventions à des associations.
  • Que les collectivités auraient dû retirer les subventions à Alternatiba, qui a méconnu le CER. -> Le rapporteur public a rappelé d’abord que les collectivités disposent d’une marge de manœuvre et d’autre part a indiqué qu’elle n’était pas convaincue que l’asso ait méconnu le CER, rappelant que les associations militantes ont le droit de débattre librement de leurs modes d’action tant qu’elles n’incitent pas à la haine/la violence.

Lors de l’audience, elle a ajouté que :
  • Il n’était aucunement question de la liberté d’expression, puisque la Préfecture n’interdisait pas à Alternatiba de s’exprimer, mais lui interdisait de le faire sur fonds publics. Le retrait d’agrément/de subventions ne limiterait pas la liberté d’expression des associations qui n’ont pas besoin d’argent pour le faire.
  • Que les collectivités ne disposent d’aucune marge de manœuvre pour appliquer le CER dès lors qu’il y a manquement à celui-ci
  • Que la désobéissance civile n’avait aucune définition juridique et ne pouvait servir à légitimer des violences politiques et notamment des violences envers les biens
  • Qu’il y avait une corrélation entre le village des alternatives et les événéments à Sainte Soline en octobre 2022 et mars 2023 (citant des propos tenus lors du débat diffusé sur une radio locale)
  • Qu’aucune subvention n’aurait dû être octroyée car il n’y avait pas un intérêt public local à ce village des alternatives.

Les collectivités ont fait valoir :
  • Qu’on assistait à un détournement d’un outil juridique fait pour lutter contre le séparatisme religieux (le CER), et que cette interprétation extensive du CER pourrait mener à une autocensure des associations comme des collectivités locales
  • Qu’il n’y vait pas eu d’encouragement à la violence mais à la désobéissance civile (et qu’aucun élément concret ne venait étayer les propos de la préfecture)
  • Que les associations ont la capacité à s’exprimer sur des sujets qui divisent
  • Que les collectivités ont la capacité de prendre des décisions sans ingérence de l’exécutif.
  • Que le village des alternatives ne se résumaient pas à ce débat et à cette formation à la désobéissance civile.
  • Qu’il n’y avait eu aucun trouble à l’ordre public lors de l’événement subventionné.
  • Qu’il y avait un intérêt public pour la communauté urbaine dès lors que la transition écologique et sociale est un enjeu majeur de notre société.

  • Alternatiba (représentée par Me Mathonnet) a fait valoir que !
  • Que la désobéissance civile était la création d’un rapport de force et d’interpeller les pouvoirs publics, et que c’était un mode d’action qui était protégé par la liberté d’expression (même si protection pas absolue)
  • Que la loi confortant les principes de la République et le CER étaient détournés de leur cible
  • Que le préfet cherchait à nettoyer la société civile de celles et ceux qui pouvaient être contre une politique et que le pluralisme était mis en danger.
  • Que le dossier était vide et que « l’administration était à même de surmonter sa rigueur historique pour faire pression sur la société civile ».

Les assos qui ont fait des interventions volontaires ont fait valoir que :
  • La cessation du financement public conduit à l’assèchement des moyens des assos qui pallient l’Etat dans l’aide aux plus vulnérables.
  • Les associations sont essentielles pour la démocratie et loin de lutter contre le séparatisme, le CER a un impact négatif sur la cohésion sociale.
  • Que la question était de savoir si les pouvoirs publics/collectivités pouvaient/devaient financer des associations contestataires.


Réactions

https://web86.info/photos-videos-le-prefet-de-la-vienne-contre-alternatiba-non-a-la-mise-au-pas-de-la-societe-civile/

Affaire de Poitiers - Alternatiba - le début en sept 2022


Où en est-on fin 2022 ?




Rappel des faits et des réactions

TRIBUNE d'Alternatiba parue dans l'Huma le 23/9/22 : La désobéissance civile relève de la liberté d’expression et du répertoire d’actions légitimes des associations
Une soixantaine d'associations (dont le CAC) et syndicats nationaux signent une tribune collective de défense d'Alternatiba (parue dans l'Huma le 23/9/22 et dans Médiapart) et réclament l'abrogation de la Loi Séparatisme et du Contrat d'engagement républicain qui menacent gravement les Libertés Associatives






Plus d'info sur le CER sur cette page dédiée


https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2020-2021/deuxieme-seance-du-vendredi-05-fevrier-2021

séance du 5 février 2021

… Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.
Je reviens néanmoins sur la charte des engagements réciproques pour indiquer à M. Vallaud et à la représentation nationale qu’avec Sarah El Haïry, nous avons proposé d’ouvrir un chantier de réactualisation de cette charte avec les associations signataires. Il s’agit de faire en sorte qu’elle puisse renvoyer aux dispositions du contrat d’engagement républicain. L’une n’est donc pas exclusive de l’autre, elles ne se font pas concurrence ; elles me semblent au contraire très complémentaires, si ce n’est sur le fond, en tout cas dans leur utilité et en ce qu’elles peuvent constituer des leviers.

M. Boris Vallaud.
Merci pour ces réponses, même si elles restent sibyllines. Je reprends ma question de tout à l’heure parce que je crois qu’il faut éclairer ceux qui devront appliquer ce contrat d’engagement républicain et ceux qui devront en faire assurer le respect. J’ai déjà exposé trois cas d’espèce pour savoir de quelle manière vous entendiez ce contrat. Une association d’aide au logement dont les membres investissent des logements vides pour protester contre le mal-logement qui met tant de gens à la rue, aura-t-elle transgressé le contrat ? Une association environnementale qui bénéficierait d’aides publiques contreviendra-t-elle au contrat si ses adhérents décident de s’enchaîner aux grilles d’une centrale nucléaire ou à une éolienne ? Enfin, une association LGBT qui militerait en faveur de la gestation pour autrui, écartée parce que jugée contraire à la dignité humaine, contrevient-elle au contrat d’engagement républicain ?

M. Pierre Dharréville.
Je souscris à la préoccupation que Boris Vallaud de voir précisées les intentions du législateur afin de lever le moindre doute sur l’interprétation qui pourrait être faite de la loi et, en particulier, du contrat d’engagement républicain dont nous n’avons pas encore la parfaite connaissance. Je tiens en outre à souligner que votre choix consiste bien à estimer que c’est dans le monde associatif que se pose un problème particulier et que seules les associations doivent signer un contrat d’engagement et non d’autres structures qui bénéficient d’argent public. C’est ce parti-pris qui étonne, y compris dans le diagnostic de départ.
Enfin, cette charte d’engagement a fait l’objet d’un travail conjoint et est acceptée par le monde associatif dans sa diversité ; il aurait mieux valu lui donner plus de poids, et un de ces amendements le permet. C’est plutôt le texte discuté, construit avec le mouvement associatif qui devrait prévaloir.
...
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.
En ce qui concerne, monsieur Vallaud, votre question sur ce qui sera possible et ce qui ne le sera pas avec ce contrat d’engagement républicain, notre volonté est très simple : nous entendons préserver l’action des associations lanceuses d’alerte comme celles que vous avez évoquées. En termes de méthode, militer, manifester, mener des actions de conviction, c’est oui, mais enfreindre la loi, c’est non… Cela me semble assez simple et basique. C’est ce qui est rappelé par ce contrat d’engagement républicain ; si vous souhaitez qu’on le verbalise, je le fais bien volontiers.

M. Boris Vallaud.
le Conseil constitutionnel a rendu une décision visant à constitutionnaliser le principe de fraternité et nous avons eu à légiférer sur le délit de solidarité. Il n’y avait rien de théorique dans tout cela ! Il y a quelques mois encore, les associations dont nous parlons auraient été en contradiction avec le contrat d’engagement républicain.
Mme la ministre déléguée a par ailleurs affirmé que les lanceurs d’alerte ne seraient aucunement empêchés de poursuivre leurs activités. Du fait de leur mode d’intervention, ils encourent parfois des poursuites, même s’ils ne sont pas toujours condamnés. Je pense aux associations environnementales et à celles qui s’engagent pour le logement, c’est-à-dire aux cas très concrets que j’ai déjà évoqués. Si, demain, les lanceurs d’alerte sont poursuivis en justice et condamnés, je n’y vois rien à redire puisqu’il y va du respect de la loi. Néanmoins, ces condamnations doivent-elles systématiquement entraîner la suspension et le remboursement des subventions ? C’est la question de la proportionnalité de la mesure qui est ici posée.

M. Gérald Darmanin, ministre.
(...) Il existe deux grands types de relations avec les collectivités locales. Il y a d’abord celle qu’elles entretiennent avec les associations – je ne parle ni des partis politiques ni des associations cultuelles, qui ne peuvent toucher aucune subvention directe, quelle qu’elle soit. Elles peuvent contractualiser leurs relations avec une collectivité afin d’obtenir des subventions, mais la collectivité en question a le droit d’opérer une forme de discrimination entre celles qui seront subventionnées et celles qui ne le seront pas, en fonction des projets qui lui sont présentés et d’un certain nombre de critères qu’elle aura elle-même fixés. En effet, comme nous l’avons dit depuis le début de nos discussions sur l’article 6, il n’existe pas de droit à la subvention – cela constituerait une libéralité. (...)

M. Éric Poulliat, rapporteur.
Tout l’intérêt du contrat d’engagement républicain est de pouvoir procéder au retrait de la subvention. Si on l’étend à toutes les associations, il faudrait les contrôler. L’idée du contrat est de retirer la subvention aux associations qui contreviennent au respect des principes républicains. Mais s’il n’y a pas de subvention, que pourra-t-on leur retirer ? Je ne vois pas comment rendre la démarche opérante.
Enfin, si l’association se rend coupable de délits ou de crimes, c’est au droit d’y répondre. Le contrat d’engagement républicain n’est pas un moyen de définir le comportement des associations – c’est le rôle du droit –, mais une façon de contractualiser l’utilisation de l’argent public pour leur fonctionnement et leurs activités, le fait de dépasser le cadre du respect des principes républicains entraînant le retrait de la subvention. Mais en l’absence de subvention, le contrat perd son intérêt.

  • A propos de la Charte des engagements réciproques
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.
Je ne peux que répéter ce que nous avons déjà dit ce matin : sans nier l’importance que revêt la charte des engagements réciproques, elle n’a pas le même objet que le contrat d’engagement républicain que le Gouvernement a choisi de proposer et que la commission spéciale a décidé de retenir. Nous tenons à ce contrat d’engagement républicain, qui sera le seul à revêtir une valeur juridique contraignante, contrairement à toutes les chartes existantes – vous mentionnez la charte des engagements réciproques, mais on pourrait également évoquer la charte de la laïcité que j’avais créée au secrétariat d’État chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, ou encore les chartes signées par des collectivités en Île-de-France, dans le Val-d’Oise, à Montpellier, à Orléans et en beaucoup d’autres endroits. Notre volonté est d’inscrire dans la loi ce contrat d’engagement républicain qui, seul, permettra d’interrompre, et surtout de recouvrer, les subventions indûment versées à des associations ne respectant pas les principes républicains. Nous pouvons continuer à en débattre.
Vous m’interpellez sur l’annonce de la réouverture, par Sarah El Haïry, chargée de l’engagement associatif, et moi-même, du chantier de la charte des engagements réciproques. Il me semble pourtant important, en 2021, de relancer la discussion sur une charte datant de 2014 : cela ne signifie pas qu’on l’annihile ou qu’on l’affaiblit, mais simplement que la situation a évolué en sept ans et qu’il n’est pas illégitime que les membres du Gouvernement qui en ont la responsabilité – en l’occurrence, ma collègue Sarah El Haïry – la réexaminent. Cette démarche fait partie de la concertation que nous menons avec les associations. Il a été dit, ce matin, que nous ne consultions pas suffisamment. On ne peut pas, cet après-midi, nous reprocher d’en faire trop

M. Boris Vallaud.
Je rappelle à nouveau, parce que je n’ai pas été démenti, que lorsqu’on détermine les conditions d’octroi d’une subvention, on peut s’en revendiquer, si elles n’ont pas été respectées, pour récupérer les sommes indues : la jurisprudence, sur ce point, est constante. Il n’est donc pas nécessaire de légiférer.
Comme Pierre Dharréville, j’ai par ailleurs du mal à comprendre quelle difficulté de fond vous pose la charte des engagements républicains. Les valeurs républicaines ne sont pas contingentes : nous n’étions pas moins républicains en 2014 que nous le sommes aujourd’hui. Je conçois donc difficilement quelle serait l’actualisation à faire : une mise à jour serait, au contraire, de nature à affaiblir les principes républicains, puisqu’elle suggérerait que ceux-ci pourraient varier selon les circonstances et les époques. Donner une valeur législative à la charte des engagements réciproques qui a été signée, négociée et discutée, et à laquelle nous sommes nombreux à apporter notre soutien et nos convergences de vue, aurait son sens. Mais vous avez le fétichisme du mot « contrat », alors que ce que vous créez n’en est pas un.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.
Je croyais avoir répondu ce matin aux questions que vous soulevez, mais si un message est mal compris, c’est qu’il est mal émis. Je m’efforcerai donc d’être plus claire.
D’abord, comme je le disais, la charte des engagements réciproques à laquelle vous êtes attachés – ce que nous comprenons, puisque c’est aussi notre cas –, ne permet pas à une collectivité, par exemple, de récupérer des subventions indues. C’est un fait : les jurisprudences existantes ne sont pas fondées sur les termes de la charte des engagements réciproques. Elles n’ont pas, au demeurant, valeur de loi. Or, notre rôle, dans cet hémicycle, est d’écrire la loi et d’y inscrire des principes. Si l’on considère que toute jurisprudence se suffit à elle-même, même si elle est vague ou approximative, il est inutile d’écrire des lois. Par ailleurs, nous n’avons pas rebondi spécifiquement sur les jurisprudences qui ont été évoquées ce matin, mais celles que vous mentionnez, monsieur Vallaud – sauf s’il en existe dont nous n’avons pas connaissance –, ne font pas référence au non-respect des principes républicains. Lorsque l’État ou, singulièrement, une collectivité, parvient à se faire rembourser une subvention versée pendant des années, c’est généralement après une décision de justice établissant que l’activité de l’association ne correspondait pas à l’objet déclaré dans le contrat ayant conduit au versement de la subvention.
Je constate que vous êtes intervenu à plusieurs reprises pour défendre la charte des engagements réciproques, mais nous ne souhaitons pas la supprimer. Au contraire, si ma collègue Sarah El Haïry compte rouvrir ce chantier, c’est bien pour que la charte et le contrat, qui sont complémentaires, se répondent, et pour faire en sorte que le contrat d’engagement républicain trouve sa traduction dans la charte des engagements réciproques de 2014, qui pourra utilement y faire référence. Même si l’esprit peut être le même – c’est pourquoi j’évoquais cette charte, ainsi que les autres pactes conclus par certaines collectivités –, seul le contrat d’engagement républicain pourra faire référence, avoir valeur de loi et permettre l’arrêt et surtout le remboursement des subventions indues à l’État, mais aussi aux collectivités

M. Boris Vallaud.
Je maintiens que si le respect des principes républicains est invoqué parmi les motifs d’octroi d’une subvention, ces principes sont opposables à l’appui du remboursement de ladite subvention. De nombreuses collectivités locales prévoient de tels engagements dans les conventions qu’elles passent.
Nous convenons par ailleurs du fait que la charte des engagements réciproques n’est pas opposable, car elle n’est pas consacrée dans le droit positif, ni sur le plan réglementaire ni sur le plan législatif. Nous proposons précisément de lui donner une valeur législative, afin qu’elle devienne opposable et que, sur son fondement, les subventions puissent être récupérées de façon systématique et – chacun conviendra de cette nécessité – uniforme en tout point du territoire national.
Vous dites, comme vous agiteriez un hochet, que la charte des engagements réciproques demeurera et qu’elle sera complémentaire du contrat d’engagement républicain. En quoi est-ce le cas ? Elle est « bien utile », dites-vous – mais bien utile à quoi ? Je ne comprends pas bien comment les choses s’articulent : vous expliquez que cette charte est très sympathique, mais qu’elle ne sert à rien. À quoi servira-t-elle donc demain ?

  • RESPECT DE L’ORDRE PUBLIC

Mme Coralie Dubost.
Ce n’est pas parce que le contrat d’engagement républicain prévoit que les associations s’engagent notamment à respecter l’ordre public qu’il les charge de l’assurer (...)
M. Alexis Corbière.
C’est pertinent, ce qu’elle dit ! Bon raisonnement !
Mme Coralie Dubost.
Il s’agit seulement d’indiquer qu’elles doivent la respecter. Il n’y aurait donc pas création d’une obligation de neutralité pour les associations, seulement le respect d’un principe constitutionnel.

M. Guillaume Vuilletet.
L’exemple donné par notre collègue Coralie Dubost est tout à fait juste : ce ne sera pas à l’association qui aura signé la charte (note : lire le contrat) de faire respecter l’ordre public partout où elle intervient. En revanche, et c’est la nuance, son fonctionnement interne devra se conformer aux principes de l’ordre public.

M. Serge Letchimy.
Les interprétations auxquelles a donné lieu la proposition d’introduire la laïcité dans l’article 6 montrent bien que l’on risque de restreindre la liberté d’expression, voire la liberté d’association. Surtout, en fonction de l’endroit où l’on placera le curseur, on risque de remettre en cause l’existence même ou la survie d’associations, dès lors qu’elles perdraient le bénéfice de subventions.
Il me semble tout à fait logique que l’alinéa 2 de l’article 6 mentionne les grands principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine. Mais la référence au respect de l’ordre public risque de poser un problème assez grave : on pourrait considérer qu’une association qui organise une manifestation au cours de laquelle se produisent des violences ou des dérapages porte une responsabilité à cet égard. Dès lors, on risque de remettre en cause non seulement la sécurité financière des associations, que nous avons évoquée tout à l’heure, mais aussi leur sécurité juridique, voire leur existence même.
C’est pourquoi Mme Untermaier propose de supprimer la dernière partie de l’alinéa 2, « ainsi qu’à respecter l’ordre public, les exigences minimales de vie en société et les symboles fondamentaux de la République », qui paraît redondante, car le droit positif garantit déjà le respect de ces principes.
Nous avons le sentiment d’une logique de défiance à l’égard de certaines associations, du seul fait que l’on considère qu’il y a des risques liés à certaines pratiques politiques ou religieuses. Cela pourrait remettre en cause, je le répète, non seulement le droit d’association, mais l’existence même et la pérennité des associations. D’autant qu’il existe de très nombreuses associations : tout en s’inscrivant dans un contexte politique ou religieux, certaines d’entre elles peuvent aussi défendre des causes humanitaires ou des causes communes très importantes pour l’évolution de la société.

M. le président.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Poulliat, rapporteur.
Je m’exprime ici au nom de la commission spéciale, et vous comprendrez bien qu’elle ne peut pas consentir à la suppression, dans l’article 6, du respect des exigences minimales de la vie en société et de celui des symboles fondamentaux de la République, deux principes qu’elle a elle-même introduits dans le contrat d’engagement républicain.
Quant à la question de l’ordre public, elle a effectivement été soulevée par le mouvement associatif. La commission spéciale a remplacé « sauvegarde de l’ordre public » par « respect de l’ordre public ». Selon moi, cette dernière notion, telle qu’elle est définie dans le contrat d’engagement républicain, est satisfaisante ; elle n’impose pas d’obligations trop contraignantes aux associations. En effet, quoi de plus normal, pour une association subventionnée, que de respecter l’ordre public ?
L’avis est donc défavorable.
M. le président.
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.
...le Gouvernement a mené une série de consultations et entendu la préoccupation des associations concernant la notion de troubles à l’ordre public, ce qui l’a amené à évoluer. Au risque d’être redondante, je vous rappelle notre ligne : je ne comprendrais pas, et les Français ne comprendraient pas non plus, je crois, que l’argent public, l’argent de leurs impôts, soit versé à des associations qui mènent des actions contraires aux principes de la République.

M. Boris Vallaud.
je souhaite appeler votre attention sur un point dont vous ne mesurez pas bien, selon moi, les conséquences. Compte tenu de la façon dont vous avez rédigé l’article 6, l’autorité qui attribue les subventions a une compétence liée, dans un cas pour refuser la subvention demandée, dans l’autre pour récupérer la subvention accordée. Autrement dit, il n’y a pas la moindre marge d’appréciation et, en cas de recours, aucune place n’est laissée à l’erreur manifeste d’appréciation.
Je vous ai posé tout à l’heure une question concernant un cas très précis, et vous m’avez répondu que les dispositions prévues à l’article 6 n’avaient pas vocation à s’appliquer aux lanceurs d’alerte ; j’ai bien compris que telle n’était pas l’intention des auteurs du texte. Reste cependant la question de la compétence liée. L’association DAL, Droit au logement, reçoit des subventions publiques. En 2011, à la suite d’une grande manifestation au cours de laquelle des tentes avaient été installées,…
… Si une association subventionnée a fait l’objet d’une condamnation – tel avait été le cas de DAL –, cela entraînera-t-il automatiquement la restitution de la subvention ? C’est sur le caractère automatique que porte la question.
M. Florent Boudié, rapporteur général.
L’article 6 ne prévoit pas de peine complémentaire qui ferait suite à une condamnation judiciaire. Il n’a rien à voir avec cela. D’un côté, une association doit respecter la légalité, comme tout citoyen. De l’autre, obligation serait faite à la collectivité publique de retirer la subvention si certains principes n’étaient pas respectés.
Nous avons répondu clairement tout à l’heure à cette question – en tout cas, nous avons tenté de le faire. L’association qui commet des actes illégaux sera condamnée pour ces actes. Par ailleurs, si ces actes illégaux correspondent à la violation des principes édictés, à savoir les principes de la République tels que la liberté, l’égalité et la fraternité, la collectivité publique pourra refuser ou retirer la subvention. Il me semble que nous sommes là particulièrement clairs.
M. Serge Letchimy.
Comme je le craignais tout à l’heure, nous continuons dans un débat surréaliste.
Monsieur le rapporteur, vous donnez compétence au maire ou au président d’une collectivité pour retirer automatiquement la subvention. Mais qui peut qualifier un acte d’illégal ? Dans le cadre de procédures classiques, le retrait de la subvention résulterait d’un jugement rendu à la suite d’un débat devant un tribunal. Or cet article prévoit que c’est le maire, le président de la collectivité ou le préfet qui décidera de retirer la subvention.
Vous rendez-vous compte, madame la ministre déléguée, des risques que vous faites courir ? Prenons l’exemple d’une association qui a respecté absolument toutes les prescriptions prévues par le texte mais qui se trouve mêlée à des violences et bafoue les principes républicains. Comment jugerez-vous de cette affaire alors que cette association a bénéficié de subventions ? Vous n’êtes pas juge, pas plus que le maire ou le président de la collectivité : là est bien le problème.
M. Boris Vallaud.
« S’il est établi que l’association bénéficiaire d’une subvention poursuit un objet illicite ou que ses activités ou les modalités selon lesquelles elle les poursuit ne sont pas compatibles avec le contrat d’engagement républicain qu’elle a souscrit, l’autorité ou l’organisme ayant attribué la subvention procède » à son retrait. L’autorité, donc, « procède » – j’insiste sur ce mot – au retrait : autrement dit, compétence liée.
M. Serge Letchimy.
Voilà !
M. Florent Boudié, rapporteur général.
Oui, c’est une obligation !
M. Boris Vallaud.
Parmi les principes que l’association s’engage à respecter dans le contrat d’engagement figure le respect de l’ordre public. Il se peut, et le cas s’est déjà présenté, que cette même association soit condamnée pour troubles à l’ordre public dans l’exercice de son engagement militant. Dans ce cas d’espèce, l’amende s’est élevée à 12 000 euros. En raison de cette compétence liée, si le juge décide qu’il y a eu trouble à l’ordre public, l’autorité ne serait-elle pas, de fait, liée par la décision du juge ? Ne disposant d’aucune marge d’appréciation, elle serait ainsi obligée de retirer la subvention. Ne prenez pas cette question à la légère. Si je veux bien concevoir que vous n’ayez pas la réponse maintenant, la question mérite tout de même d’être creusée.

M. François de Rugy, président de la commission spéciale.
Pour revenir sur votre exemple initial, certaines associations revendiquent de mener des actions illégales, et, en plus, elles voudraient se voir octroyer des subventions ! Le contrat d’engagement républicain donne les moyens de reprendre la main à cet égard, et d’avoir un dialogue plus cadré avec les associations. Elles devront choisir : on ne peut à la fois réclamer des subventions, soit un financement public et, dans le même temps, mener des activités illégales, telles que des occupations de lieux, privatisés de manière illégale. Du reste, je suis absolument sidéré que des gens de gauche comme vous puissent trouver normal que certaines personnes s’approprient des territoires et y appliquent leurs propres règles !
Ce n’est pas un fantasme, monsieur Vallaud : dans ma circonscription, en Loire-Atlantique, certaines personnes ont installé une ZAD, une zone à défendre, forme d’aire qui fleurit partout en France, en occupant un territoire de plusieurs kilomètres carrés au sein duquel ils appliquent leurs propres règles. Les journalistes eux-mêmes n’avaient pas le droit d’entrer dans cette zone, les zadistes coupaient les routes, de sorte que même la liberté de circulation n’était plus assurée !

Si, parmi les associations occupant cette zone, certaines étaient subventionnées, les collectivités locales auraient été en droit, avec les dispositions de l’article 6, de demander le remboursement des subventions en raison du non-respect du contrat d’engagement républicain ! Arrêtez d’embrouiller les gens !

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.
… Il faut replacer la question des troubles à l’ordre public dans le contexte de nos débats. Nous discutons d’associations subventionnées avec de l’argent public. Les associations ou les organisations qui, pour se faire entendre, organisent des actions coup de poing et vont jusqu’à troubler l’ordre public, s’inscrivent depuis toujours dans la tradition de certains mouvements militants. Je pense notamment aux Femen, à La Barbe ou d’autres structures que, par ailleurs, j’ai soutenues. En général, ce ne sont pas des associations subventionnées. Au demeurant, ces associations répondent de leurs actions devant la justice. Ce n’est pas parce qu’on est une association qu’on a le droit de ne pas respecter la loi.
En ce qui concerne l’attribution de la subvention, elle est discrétionnaire. Certains lors de ces débats considèrent qu’il y aurait un droit à la subvention, une obligation de verser des subventions. Je comprends de vos propos qu’à partir du moment où une subvention serait versée, elle devrait automatiquement être reconduite ad vitam aeternam.

M. Serge Letchimy.
Non, tout le texte est structuré autour de cette idée (les attitudes, les postures et les actions liées à l’intégrisme religieux), et je répète qu’il est compréhensible que nous prenions des mesures strictes pour éviter toute forme de radicalisation.
Ce que nous vous disons, c’est que les dispositions que vous prenez sont susceptibles d’avoir des effets collatéraux pour des structures associatives qui n’ont rien à voir avec ces pratiques. Le statut protecteur dont elles bénéficient grâce à la loi de 1901 pourrait être remis en cause, mettant en péril leur existence même.
Avouez-le, s’agissant des troubles à l’ordre public, vous conservez la possibilité que le droit positif règle les problèmes – une association, un maire ou un particulier peut poursuivre une association en justice –, tout en prévoyant le rejet ou l’arrêt des subventions publiques.
Vous allez même plus loin, étant donné que l’article 6 bis , dont nous discuterons tout à l’heure, prévoit la remise d’un rapport par le Gouvernement sur l’opportunité d’octroyer des fonds aux associations qui promeuvent les principes contenus dans le contrat d’engagement républicain. Les associations portent de très nombreuses valeurs et structurent des actions très importantes. Or une association qui ne serait pas responsable d’un trouble à l’ordre public dont on l’accuserait pourrait se voir priver de subventions et, partant, de la possibilité d’exister.
J’ajoute, monsieur de Rugy, que votre réponse me surprend beaucoup, car vous laissez entendre que, au fond, les associations qui n’ont pas besoin de subventions peuvent ne pas respecter l’ordre public sans être pénalisées. Pour ma part, je pense aux associations de bien commun, de lutte pour les libertés ou les émancipations. Elles accomplissent un grand travail, portent des valeurs et font avancer de grandes questions de société ainsi que la République elle-même. Ces associations, il convient de les protéger. Voilà ce que nous avons dit. Nous restons sur notre position et maintenons notre amendement.